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Rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées : une ordonnance organise la transparence

Affaires - Sociétés et groupements
05/12/2019
Une ordonnance parue au Journal officiel du 28 novembre 2019 crée un dispositif unifié et contraignant pour encadrer la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. Le point.
Inspiré des dispositions européennes alors en cours de négociation, le dispositif français issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique était conçu autour d’un double vote de l’assemblée générale des actionnaires (C. com., art. L. 225-32-2, L. 225-82-2 et L. 225-100) :
  • un vote ex ante sur une résolution, contraignante, présentant les principes et les critères de rémunérations des dirigeants mandataires sociaux ;
  • un vote ex post, à travers lequel l’assemblée générale se prononce sur les rémunérations de chaque dirigeant par des résolutions distinctes (le versement de la partie variable et exceptionnelle de la rémunération d’un dirigeant dont la rémunération serait désapprouvée est ainsi interdit).
 
Les limites du précédent système d’encadrement des rémunérations des dirigeants
En pratique, ainsi que le souligne l’étude d’impact de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (JO 23 mai), « le droit de regard des actionnaires sur la rémunération des administrateurs s’est révélé insuffisant », alors même que la « rémunération des administrateurs joue un rôle essentiel dans la mise en adéquation des intérêts des administrateurs avec ceux des actionnaires et pour veiller à ce que les administrateurs agissent dans le meilleur intérêt de l’entreprise », privilégiant ainsi leur retour sur investissement plutôt que les performances à long terme de l’entreprise.
 
Plusieurs faiblesses avaient été constatées dans le cadre actuel :
  • les informations communiquées par les entreprises ne sont ni exhaustives, ni claires, ni comparables ;
  • les actionnaires ne disposent souvent pas des outils suffisants pour exprimer leur avis sur la rémunération des administrateurs ;
  • des situations de médiatisation de conflits internes à ce sujet ont parfois été préjudiciables à l’image de la gouvernance des sociétés cotées françaises ;
  • pour les rémunérations suspendues, dans certains cas, la définition du caractère « exceptionnel » d’une rémunération a pu poser des difficultés.
 
La loi PACTE procède pour ces raisons à une refonte complète du dispositif français et ce, par ordonnance.
 
Ce que prévoit désormais le droit positif : transparence et sécurité juridique
Cette ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019 (JO 28 nov.) transpose la directive UE n° 2017/828 du 17 mai 2017 et encadre de manière contraignante la rémunération des dirigeants de sociétés côtées, avec deux mots d’ordre : transparence et sécurité juridique.
 
Le double vote est, bien entendu, maintenu.
 
Le premier vote, ex ante :
  • fait l'objet des nouveaux articles L. 225-37-2 (pour les sociétés anonymes) et L. 226-8-1 (pour les sociétés en commandite par actions) du Code de commerce (2° de l'article 1er) ;
  • les dirigeants visés sont tous les dirigeants mandataires sociaux, à savoir les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance, les directeurs généraux délégués, les directeurs généraux, les membres du directoire ou le directeur général unique, dans les sociétés anonymes, ou les membres du conseil de surveillance et les gérants des sociétés en commandite par actions ;
  • par ce vote est actée une politique de rémunération des dirigeants qui doit en présenter les principes et les critères, alignés sur les intérêts de la société ;
  • ce vote est annuel pour permettre un contrôle plus fréquent des actionnaires sur la politique de rémunération, sachant que bien entendu elle peut rester identique d'année en année et reconduire ses critères de long terme ;
  • point important, cette politique est contraignante : seules peuvent donc être versées aux dirigeants les rémunérations conformes à une politique de rémunération approuvée ;
  • les circonstances dans lesquelles la politique de rémunération serait susceptible de ne pas s'appliquer sont encadrées ; elles ne couvrent que les situations « dans lesquelles la dérogation à la politique de rémunération est nécessaire pour servir les intérêts et la pérennité à long terme de la société dans son ensemble ou garantir sa viabilité » ;
  • le régime applicable en cas de désapprobation, par l'assemblée générale, de la politique de rémunération ne change pas : les rémunérations doivent alors être attribuées selon la dernière politique de rémunération approuvée et à défaut de politique approuvée, conformément à la rémunération attribuée au titre de l'exercice précédent ou, en l'absence de rémunération attribuée au titre de l'exercice précédent, conformément aux pratiques existant au sein de la société.
 
Pour assurer la transparence de cette politique, l’ordonnance prévoit qu’elle doit être « présentée de manière claire et compréhensible au sein du rapport sur le gouvernement d'entreprise ». Étant précisé que « le contenu et les modalités de la publicité de la politique de rémunération sont fixés par décret en Conseil d'État ».
 
Le second vote, ex post, porte sur le rapport présentant le détail des rémunérations versées ou attribuées aux dirigeants durant l'exercice écoulé et apporte une certain nombre d’informations.
 
Il faut retenir que l’ordonnance :
  • dresse la liste de ces informations à l'article L. 225-37-3 du Code de commerce, complétant ainsi le rapport sur le gouvernement d'entreprise (rémunération totale et avantage en nature, proportion du fixe et du variable, évolution annuelle de la rémunération, etc.) ;
  • modifie les articles L. 225-100 et L. 226-8-2 du Code de commerce ;
  • prévoit que l'assemblée générale des actionnaires se prononce sur les informations concernant l'ensemble des rémunérations de l'exercice écoulé ;
  • maintient ensuite le vote de l'assemblée générale sur les rémunérations individuelles de chaque dirigeant, hors administrateurs et membres du conseil de surveillance, actuellement prévu en droit positif ;
  • avec un système de sanction à ces votes ; pour les votes individuels relatifs à chaque dirigeant, hors administrateurs et membres du conseil de surveillance, elle procède au maintien de la sanction actuellement associée à un vote négatif de l'assemblée générale, à savoir un versement de la partie variable et exceptionnelle de la rémunération du dirigeant conditionné à l'approbation de sa rémunération totale ; et pour le vote relatif aux informations sur l'ensemble des rémunérations versées durant l'exercice, l'ordonnance responsabilise les membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, qui ne font pas l'objet de vote individuel, le versement de la rémunération de ces membres sera conditionné à l'approbation de la politique de rémunération par l'assemblée générale suivante ; une nouvelle désapprobation entrainera l'interdiction définitive de verser les rémunérations suspendues.
Dernier point, l’entrée en vigueur de cette ordonnance : l'article 4 de cette ordonnance précise que les dispositions des articles 1er à 3 qui fixent ce nouveau cadre sont applicables, dans les sociétés concernées, au premier exercice ouvert à compter du 28 novembre 2019.
 
Un projet de loi de ratification doit maintenant être déposé au Parlement et ce, avant le 28 février 2020. 
Source : Actualités du droit