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Cautionnement, prescription et recevabilité : caractère manifestement disproportionné d'un acte de cautionnement et devoir de mise en garde

Affaires - Banque et finance
Civil - Sûretés
16/04/2021
Le moyen de défense tiré du caractère manifestement disproportionné d'un acte de cautionnement peut être soulevé par la caution à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse lui opposer la prescription. En ce qui concerne le devoir de mise en garde, le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où la caution a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises en exécution en raison de la défaillance du débiteur principal et non pas au jour où la caution s’est engagée contractuellement.
Faits et procédure

En l’espèce, une personne se porte caution solidaire afin de garantir un prêt bancaire consenti à une société dont elle était associée majoritaire. Sa société étant ensuite mise en liquidation judiciaire, la banque a fait délivrer à la caution un commandement aux fins de saisie-vente.

La caution a assigné la banque devant le juge de l’exécution en annulation dudit commandement tandis que la banque lui a opposé la prescription de son action.

La Cour d’appel de Montpellier, sur demande de la banque, déclare la caution irrecevable en ce qu’elle oppose à l’établissement de crédit la disproportion manifeste de son engagement. Également, la cour déclare irrecevable comme prescrite l'action de la caution en responsabilité contre la banque pour manquement à l'obligation de mise en garde. En ce qui concerne cette dernière action, pour en déduire son irrecevabilité, la cour a fixé le point de départ du délai quinquennal de prescription à la date de la conclusion du cautionnement. La caution conteste en arguant que « le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité exercée par la caution contre une banque, en raison du manquement de cette dernière à son devoir de mise en garde, se situe au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui a été adressée ou les voies d'exécution qui ont été diligentées à son encontre, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ».

La Cour de cassation accueille les deux actions et casse dans toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.
D’abord, les juges relèvent d'office le moyen tiré de l’irrecevabilité de l’action de la caution qui cherche à opposer à la banque la disproportion manifeste de son engagement. En visant les articles L. 110-4 du Code de commerce et L. 341-4 du Code de la consommation, la cour énonce dans le chapeau qui suit que « la contestation opposée par une caution, sur le fondement de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, à une mesure d'exécution forcée engagée par le créancier échappe à la prescription ».

Ensuite, les juges de cassation se prononcent sur la recevabilité du moyen tendant à déclarer comme irrecevable les prétentions de la caution qui oppose à la banque un manquement à son devoir de mise en garde. Pour l’établissement bancaire, le moyen est irrecevable comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Toutefois, observe la Cour, « [si la caution] opposait, dans ses conclusions d'appel, l'absence de prescription de son action, la cour d'appel a retenu que celle-ci était acquise en fixant le point de départ de son délai à la date de la conclusion de l'acte de cautionnement. Il en résulte que, tiré de ce que la prescription avait commencé à courir, non à ce moment, mais à la date postérieure, mentionnée par l'arrêt, de l'exercice des voies d'exécution par le créancier, le moyen est né de la décision attaquée et, comme tel, recevable ».

En déclarant ainsi le moyen recevable, les Hauts magistrats se prononcent ensuite sur son bien-fondé. Au visa des articles 1147 ancien (devenu article 1231-1) et 2224 du Code civil, ils énoncent que « le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de dommages-intérêts formée par la caution contre l'établissement de crédit créancier pour manquement à son devoir de mise en garde est le jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ». Dès lors, il résultait des constatations de la cour d’appel que « seul le commandement aux fins de saisie-vente délivré en janvier 2015 avait permis, à défaut d'un acte antérieur de mise en demeure ou d'exécution non mentionné par l'arrêt, à la caution de savoir que son engagement allait être mis à exécution » et qu’ainsi c’est à tort qu’elle a pu considérer que le point de départ unique de la prescription se situe à la date de la conclusion de l'acte de cautionnement.

Éléments d’analyse

Les articles L. 332-1 et L. 343-4 du Code de la consommation actuellement en vigueur reprennent la substance de l’article L. 341-4 ancien, désormais abrogé par ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, qui disposait qu’un « créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».
Sans s’attarder sur cette disposition abondement commentée tant par jurisprudence que par la doctrine, il est légitime de se poser la question si le moyen tiré de l’article L. 341-4 du Code de la consommation échappe à la prescription commerciale de l’article L. 110-4 du Code de commerce ?

La première chambre civile a déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette interrogation (Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24.092). En l’espèce, après avoir prononcé la déchéance du terme, l’établissement de crédit a assigné en paiement les cautions, deux personnes physiques, qui opposent la disproportion manifeste de leurs engagements. La banque a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription. À cette occasion, la Cour régulatrice a pu décider que « constitue une défense au fond, au sens de l’article 71 du Code de procédure civile, et échappe donc à la prescription, le moyen tiré de l’article L. 341-4 du Code de la consommation, selon lequel l’engagement de caution d’une personne physique manifestement disproportionné à ses biens et revenus se trouve privé d’effet à l’égard du créancier professionnel ».

En d’autres termes, la solution de la Cour consiste à (ré)affirmer que le moyen de défense tiré du caractère manifestement disproportionné d'un acte de cautionnement peut être soulevé par la caution à tout moment, sans que le bénéficiaire du cautionnement – la banque – puisse lui opposer la prescription.

Ensuite, en ce qui concerne le devoir de mise en garde, il est apparu d’abord en tant qu’une création prétorienne issue d’un arrêt du 12 juillet 2005 remarqué (Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10.921), avant d’être légalement reconnu par l'ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 (et contenu à l’article L. 313-12 du Code de la consommation). Récemment, la Cour de cassation a pu préciser que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où la caution a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises en exécution en raison de la défaillance du débiteur principal et non pas au jour où la caution s’est engagée contractuellement (Cass. com., 21 nov. 2018, n° 17-21.025). En cela, l’arrêt ne fait que de confirmer ladite solution.

En somme, le présent arrêt sert de piqûre de rappel aux juridictions du fond et une consolidation des jurisprudences passées qui, dans la majorité des cas, sont en faveur des cautions et emprunteurs auprès des établissements de crédit sur qui pèsent des obligations multiples qui ne cessent par ailleurs de se multiplier.
 
Source : Actualités du droit