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Régime dérogatoire de l’INA sur les droits d'exploitation des sociétés nationales de programme

Affaires - Immatériel
19/07/2018
Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2018, la Cour de cassation renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) une question préjudicielle concernant le régime dérogatoire de l’Institut national de l'audiovisuel (INA) sur les droits d'exploitation des sociétés nationales de programme.
Les articles 2, sous b), 3, paragraphe 2, a), et 5 de la directive 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'une réglementation nationale, telle que celle issue de l'article 49, II, de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, modifiée par l'article 44 de la loi n° 2006-961 du 1 août 2006, instaure, au profit de l'Institut national de l'audiovisuel, bénéficiaire, sur les archives audiovisuelles, des droits d'exploitation des sociétés nationales de programme, un régime dérogatoire prévoyant que les conditions d'exploitation des prestations des artistes-interprètes et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et cet institut, ces accords devant notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ? Telle est la question préjudicielle que la Cour de cassation a renvoyé à la CJUE le 11 juillet 2018.

La Cour de cassation relève notamment que le régime dérogatoire dont bénéficie l'INA n'entre dans le champ d'aucune des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public que les États membres ont la faculté de prévoir sur le fondement de l'article 5 de la directive.

Dérogation non prévue par le législateur de l'Union

La cour rappelle par ailleurs que la CJUE avait été saisie en 2016 par voie préjudicielle sur la question de la conformité aux articles 2 et 3 § 1 de la directive 2001/29 de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012, relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle. La CJUE avait jugé que la protection que ces dispositions confèrent aux auteurs doit se voir reconnaître une large portée et que, si la directive ne s'oppose pas à ce qu'une réglementation nationale poursuive un objectif dans l'intérêt culturel des consommateurs et de la société dans son ensemble, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non prévue par le législateur de l'Union à la protection assurée aux auteurs par cette directive (CJUE, 16 nov. 2016, aff. C-301/15, Marc Soulier et Sara Doke c/ Premier ministre et Ministre de la Culture et de la Communication ; lire l'actualité du 17/11/2016 « Droit d’auteur et reproduction numérique de livres indisponibles : la position de la CJUE »).

Les demandeurs au pourvoi se prévalent de cette décision pour soutenir que, si la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumée par l'INA est d'intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation, non prévue par le législateur de l'Union, à la protection assurée aux artistes-interprètes par la directive 2001/29, permettant à l'INA d'exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations, sans qu'il soit démontré que ceux-ci aient donné leur consentement préalable.

Or, pour la Cour de cassation, la solution retenue par la CJUE n'est pas transposable au présent litige. En effet, si la législation sur les livres indisponibles dérogeait à la protection assurée aux auteurs par la directive 2001/29, le régime dérogatoire institué au profit de l'INA, dans un but d'intérêt général lui permettant d'exploiter les droits dont il est titulaire, a vocation à concilier les droits des artistes-interprètes avec ceux des producteurs, d'égale valeur.

Par Vincent Téchené
Source : Actualités du droit